Z 750 H2 Style « J’en ai rêvé, Kawasaki ne l’a pas faite ! »

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J’ai dû économiser et attendre plusieurs années pour acquérir ma première Kawasaki Z 900, je n’avais même pas 18 ans !

Depuis, j’ai toujours possédé au moins une 900 Kawa : étudiant, célibataire, appelé sous les drapeaux, marié, père de famille ... j’espère un jour grand-père !

En 1989, j’ai créé avec quelques amis notre première Association (loi de 1901) destinée à la restauration et la collection des motos des années 70 ; à cette époque, ces machines n’étaient ni chères ni très recherchées.

L’association existe toujours.

Décembre 2013.

Zef, rédacteur en chef adjoint du magazine CAFE RACER, souhaite réaliser un essai du nouveau roadster KAWASAKI Z 1000 en le plaçant en  perspective par rapport à d’anciens modèles de la marque.

Il me demande de préparer une Z 1000 2003, premier modèle de la génération 2000, ainsi qu’une 1000 Z1R 1978, premier CAFE RACER (japonais) de l’histoire.

Je suis très excité à l’idée d’essayer la Z 1000 2014. La marque a effectué un important  travail de promotion pour accompagner son lancement commercial, et l’ensemble de la presse spécialisée a suivi le mouvement.

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Mes premières impressions sont mitigées.

Placé au centre de l’atelier pour une séance photo, entouré des machines de collection, le Z 1000 au design MANGA choque encore plus qu’il ne surprend. Le grand nombre d’appendices et de caches en plastique, qui renforcent le look agressif de la machine, semblent  superflus et exposés en cas de chute.

L’essai dynamique est encore plus troublant. La disponibilité du moteur enthousiasme mais la partie-cycle laisse perplexe : la moto est lourde (+ 20 kg par rapport à la version 2003), elle  braque mal. Après vérification, son empattement est plus important que sur la Z 1000 de 2003 (+3,5 cm).
En fin de journée, nous échangeons nos impressions avec Zef.

Le marché des gros roadsters est une sorte d’exception culturelle française (le Z 1000 naked n’est pas commercialisé dans tous les pays d’Europe).

De par ses lignes modernes et futuristes, le roadster Z 1000 (comme le Z 800) s’adresse à un public jeune, qui n’a pas forcément les moyens de débourser 12 000 € pour ce type de machine (8 900 € pour le Z 800).

A l’inverse,  la clientèle plus âgée (40, 50 ans et plus), au pouvoir d’achat plus important, reste parfaitement insensible au design agressif de ce genre d’engin. Ce public qui roule moto depuis de nombreuses années reste sensible aux chromes, aux moteurs en évidence, aux lignes de carrosseries traditionnelles ...

Culturellement, ces utilisateurs sont attirés par des bécanes qui évoquent leur jeunesse, qu’elles soient authentiques et de collection, ou modernes et néo-classiques.

Malheureusement ces dernières, les néo-classiques, sont souvent mues par des bicylindres asthmatiques (à l’exception de la HONDA CB 1100) qui appellent une conduite plus raisonnable que sportive.

C’est politiquement correct de nos jours, mais cela ne correspond pas à la pratique de cette génération : dans les années 70 puis 80, la moto était bonne à tout faire, pour aller au travail les jours de semaine, partir en week-end ou en vacances avec passagère et bagages … elle se transformait même parfois en moto de course pour tourner à Rungis, puis à Carole.

Aller faire tout cela avec une W650 ou W800 !

En outre, les utilisateurs d’alors avaient pour habitude de rouler « à fond, à fond, à fond » avec tous les engins qui passaient entre leurs mains.
Une Mobylette à 14 ans : à fond (60 à 90 km/h).
Une 125 cm3 à 16 ans : encore à fond (100 à 130 km/h).
Une moyenne cylindrée à 18 ans : toujours à fond (150 à 180 km/h).
Une grosse cylindrée ensuite : encore et toujours « à fond, à fond, à fond » (200 km/h et plus). C’est-à-dire au maximum des possibilités de la machine … ou du pilote.

Tout cela, malgré les réglementations de vitesse qui existaient déjà à l’époque.
Il y a un côté canaille : la moto, c’est à la fois le plaisir de rouler et celui de transgresser.
Hier comme aujourd’hui.

 

Quel intérêt et surtout quel plaisir, de rouler à fond avec une néo-classique ?

 

Décidément, la moto de mes rêves ressemblerait bien à ce type de roadster moderne, au moteur 4-cylindres puissant (plus de 100 CH) et disponible à tous les régimes.

Et surtout les plus élevés.

Un roadster moderne, mais qui ressemble à une vraie moto.
Un peu comme l’enfant naturel d’une 750 H2 des seventies et d’une Z 750 moderne ...

Nous nous regardons avec Zef, l’évidence se tient devant nous, pire elle nous crève les yeux : la Z 1000 2003 qui a servi pour notre essai a repris place, dans l’atelier, aux côtés de la 750 H2, millésime 72.

En fermant les yeux, on se prend à imaginer à quoi ressemblerait le mélange des genres ...« Je connais cette moto ! Je l’ai vue sur internet. »Je cherche dans la quantité d’images stockées sur ma tablette. Et je tombe sur Elle.

Il s’agit bien du même concept mais à l’état de photo montage : partie-cycle de Z 1000 moderne, carrosserie de 750 H2 d’époque. Tout est là.

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Il ne reste qu’à relever le challenge et fabriquer une telle moto.
Zef me croit sur parole et publie aux côtés de l’essai de la Z1000 2014, un encadré qui annonce le projet.
Dès la sortie du numéro de CAFE RACER, en février 2014, je commence à recevoir des appels de clients potentiels qui me demandent à quel prix sera vendue la moto et combien d’exemplaires comportera la série.
Pour le moment, je n’ai même pas trouvé la moto qui servira de base à ce projet !
Je me mets donc en quête d’une Z 750 récente peu kilométrée.
Je préfère la Z 750 à la Z 1000 afin d’être raccord avec l’Histoire : la vraie H2 est une 750 !
Une fois la moto achetée, je demande à mon soudeur de travailler à l’adaptation.

Ce sera lui l’homme clef du projet. Toute l’année, il restaure des cadres, des bras oscillants, des tés de fourche destinés aux Z1 de collection. Redonner vie - et rectitude - à des machines de 40 ans nécessite un savoir-faire rare, mais répétitif. Il réalise aussi à ma demande des parties-cycles spéciales, le plus souvent répliques de motos de course d’époque : Moriwaki, National Motos, etc …

Aujourd’hui, le challenge est d’une autre nature. Il est question de modifier une carrosserie complète et de l’adapter sur la partie-cycle moderne de la Z 750.

Le moment le plus déchirant est pour moi « sacrifier » un ensemble complet de 750 H2 de collection qui servira de base à la future carrosserie.

Le plus gros travail porte sur le réservoir. Le réservoir d’origine de la Z 750 moderne est complètement découpé.

Seuls sont conservés :

  • le fond de réservoir
  • la pompe à essence immergée
  • la trappe de réservoir

Le réservoir d’origine de la 750 H2 de collection est lui aussi découpé, verticalement de part et d’autre de la trappe à essence.

Les deux demi-réservoirs de provenance H2 sont ensuite soudés sur le fond de réservoir moderne. La trappe de réservoir moderne est soudée sur le dessus. Une première bande métallique triangulaire vient ensuite combler l’espace laissé en arrière de la trappe, une seconde bande métallique aux formes arrondies vient refermer le réservoir sur l’avant.Le soudeur fera plusieurs essais avant de trouver la forme définitive du futur réservoir.

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Au final, le nouveau réservoir est plus large que le réservoir d’origine de la H2 (surtout dans sa partie AV) mais plus étroit que celui de la Z 750. Il est plus haut que celui de la H2 car il doit intégrer la pompe à essence immergée de la moto moderne – injection oblige.

La selle et le dosseret sont d’origine H2. Pour cela, le soudeur va amener le berceau arrière du cadre de la Z 750 aux côtes d’un cadre de 750 H2 que je lui fournis pour modèle : son travail terminé, la selle prend naturellement place sur la moto, elle s’ouvre, pivote et dispose même du crochet de fermeture d’origine de la 750 H2.

Quant au dosseret de H2, il permet d’accueillir un vase d’expansion (refroidissement liquide oblige) et reçoit le feu arrière et le support de plaque d’origine H2.

Les caches latéraux d’origine H2 sont modifiés : s’ils conservent leurs proportions d’origine, ils sont dorénavant moins saillants et reçoivent des encoches afin d’épouser les formes du cadre. Ils sont fixés à l’aide de platines spéciales reprenant les fixations d’origine des repose-pieds passager de la Z 750 moderne.

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Ainsi installée « à blanc » sur la moto, la carrosserie est prête à aller en peinture.

Nous sommes le 1er septembre 2014. Cela fait 9 mois que nous travaillons sur le projet Z 750 H2.
C’est la date que choisit Kawasaki pour sortir son premier teasing annonçant la future Ninja H2 !
Le ciel me tombe sur la tête.
Si Kawa a eu la même idée que nous, notre projet n’a plus aucune raison d’être.
Chaque semaine de septembre, je scrute les interminables teasings de la marque d’Asashi ; je comprends vite qu’il s’agit d’une super sportive et non pas d’un roadster, qu’elle n’a de H2 que … pas grand-chose en fait.

Cela me redonne de l’énergie.

Nous sommes convenus avec les journalistes de CAFE RACER de leur mettre la moto à disposition le 15 octobre 2014.

Sauf que le peintre, lui, quand il découvre l’ampleur du travail de préparation à effectuer, n’est pas du tout sûr de pouvoir tenir de tels délais.

Nous convenons ensemble qu’une peinture métallisée fera l’affaire et que la couche de vernis finale peut attendre …

Le peintre décide de se consacrer pleinement à ce projet et laisse tomber les autres machines en cours (!). Il effectue un travail fantastique, mastique et comble toutes les soudures, intègre la trappe de réservoir et réalise une vraie peinture candy, conforme à celle de la H2 72.

« Je n’ai pas trouvé de bleu métallisé approchant la teinte d’origine, du coup j’ai refait moi-même la teinte, en candy ! » Il prend même le temps d’appliquer un vernis sur le candy, avant de positionner les stickers.

Le temps de séchage et de durcissement étant de l’ordre de deux semaines, le vernis définitif (sur les stickers) est remis à plus tard.

De toute façon, cela ne se voit pas sur les photos …

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La carrosserie étant en de bonnes mains, il nous reste à effectuer quelques finitions sur la partie-cycle. Celle-ci est déshabillée et dépouillée de la plupart de ses accessoires : écopes de radiateurs, caches plastiques, vase d’expansion, platines repose-pieds passager, etc …

Un grand guidon et un ensemble compteur/compte-tours de 750 H2 d’époque remplacent les éléments d’origine de la Z 750. Les compteurs de H2 sont à câbles; ils nécessitent donc une adaptation pour être véritablement fonctionnels.

Oui, mais ils sont tellement authentiques !

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Un phare rond d’époque – avec ampoule H4 tout de même - remplace le bloc double optique de la Z 750 moderne. Le cuvelage permet même d’intégrer l’ensemble des équipements électriques qui restaient apparents sur la Z 750 moderne.

Une araignée spécifique est réalisée (toujours par mon soudeur), qui permet de positionner les compteurs et le phare, dans le style de la H2 d’époque.
Les nouvelles pattes de phare reçoivent enfin les systèmes réfléchissants de la 750 H2.

De nouveaux supports de repose-pieds passager sont fabriqués, à la manière des motos des seventies.
Pour le reste, la Z 750 conserve ses attributs d’origine : contacteur principal, commodos, leviers, repose-pieds pilote, etc …

Le faisceau électrique et tous ses équipements reprennent (trop de) place sous la selle. Le faisceau est modifié pour pouvoir brancher le phare et le feu arrière.

Les suspensions, les roues et le freinage demeurent ceux de la moto moderne. Le garde-boue avant également, il a été peint aux couleurs de la nouvelle carrosserie.

Les jantes sont envoyées au polissage, pour être traitées à la manière des Kawa 1000 Z1R et Z 1300.

Des pneumatiques neufs sont installés (Dunlop).

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Comme toujours, tout finit par s’arranger : la moto redémarre le 13 octobre au soir.
Nous avons deux jours d’avance sur le planning initial !

La moto est prête pour un essai à paraître dans CAFE RACER.

L’assiette de la moto est légèrement modifiée et le tarage des suspensions adouci, sans pour autant revenir aux pompes à vélo qui équipaient les motos des années 70.
Le progrès a aussi du bon.

Pour le redémarrage, la ligne d’échappement reste d’origine ; une nouvelle sortie d’échappement « Moriwaki » est réalisée.

Le moteur conserve sa puissance d’origine (106 CH).

Ainsi modifiée, la Z 750 H2 est plus légère que la Z 750 moderne (200 kg au lieu de 210 kg). Elle est plus maniable, du fait notamment de son grand guidon et des modifications portant sur la géométrie. La hauteur de selle perd 10 mm (805 mm au lieu de 815 mm) mais la mousse de selle en gagne 50, ce qui se ressent au premier contact fessier.

Après 9 mois d’immobilisation, le redémarrage de la machine s’effectue non sans difficulté.

L’électronique des motos modernes n’a pas grand-chose à voir avec l’électricité des motos des années 70.Avant démontage, le faisceau électrique a été protégé et mis de côté – mais il est resté en place sur la moto.

Sa nouvelle implantation sous la selle de H2 nécessite une réorganisation complète : je positionne mal le capteur de chute. Du coup la moto refuse de démarrer sans que l’on comprenne pourquoi. Mon mécanicien s’arrache les cheveux – il lui en reste. Il lui faudra un bon moment pour trouver d’où vient le problème.

Dans les années 70, le capteur de chute n’était pas électronique mais maternel, à deux vitesses : une réprimande pour une petite chute avec éraflure, une engueulade pour une grosse chute avec jean et blouson déchirés !

La moto finit par redémarrer mais le réservoir modifié et fraîchement peint n’accepte plus la pompe à essence immergée. Celle-ci est trop longue de 8 mm. Il est donc nécessaire de faire usiner en urgence une entretoise permettant de replacer la pompe et donc d’installer le réservoir modifié. La trappe de réservoir d’origine Z 750 doit être usinée afin d’intégrer le logement prévu à cet effet.

Avec son look de dromadaire, le réservoir nous semble un peu trop haut. Cela est dû à la hauteur de la pompe à essence immergée. Je demande au soudeur de travailler dès à présent sur un nouveau réservoir moins haut qui se rapprochera des formes du réservoir d’origine de la H2. Ce second réservoir aura une moindre contenance, nous laisserons donc le choix au futur utilisateur.

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Comme toujours, tout finit par s’arranger : la moto redémarre le 13 octobre au soir.
Nous avons deux jours d’avance sur le planning initial !
La moto est prête pour un essai à paraître dans CAFE RACER.

Remerciements :
Luiggi (soudeur), Pascal (mécanique), Yannick (peinture carrosserie), Loïc (polissage jantes), Vlad (usinage pièces spéciales), Alain (usinage en urgence), mon ami Jean-Louis qui vient souvent m’aider à l’atelier, et bien sûr CAFE RACER pour leur intérêt dans ce projet.

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